Pavillon Témoin
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  • Exposition Pavillon Témoin

    Pavillon Témoin
    Eternal Gallery

    Exposition du 17 octobre au 1er novembre 2020, dans le cadre de la Semaine de l’architecture et du paysage, organisée par le CAUE d’Indre-et-Loire.

    Camille Michel est accompagné par le POLAU-pôle arts&urbanisme, depuis 2019 (résidence, expérimentation urbaine, rencontre publique).

    Vidéo : Mikazuki Prod.

    Musique : Warng

  • Pèlerinage insensé

    Ce soir (30 août 2019), je suis chez moi pour la première fois depuis 19 ans. Les actuels propriétaires acceptent de m’accueillir durant une nuit. J’ai amené avec moi quelques objets[1][1]
    Une peluche m'appartenant (souris bleue et blanche...
    qui m’accompagnent pour ce pèlerinage insensé.  Je passe la nuit dans la pièce qui était le bureau de mes parents. C’est une expérience intense. Une pure présence inexplicable. Je sais maintenant intimement ce que c’est que d’être un fantôme. C’est une petite réparation à ma tristesse. Cette nuit passée ici me permet quelque part de faire la paix avec cette maison. C’est comme si je pouvais maintenant la laisser partir.

    Le lendemain, avant de repartir, j’entre dans ce qui était ma chambre, le cœur lent, et je dépose sur le coin du bureau l’album White Pony[2][2]
    Deftones, White Pony, Maverick, 2000....
    , le dernier objet ayant occupé celle-ci, le 21 juin 2000, à peu près à l’endroit où se situait mon lecteur Cd. C’est un geste très doux et plein de tendresse. Tout est maintenant à sa place.

    1. ^ Une peluche m'appartenant (souris bleue et blanche nommée Irkette), une peluche à l'effigie de Petit Ours Brun appartenant à mon frère, une dévidoir à ruban adhésif noir appartenant à ma Mère, des aimants rouges et verts appartenant à mon Père, un disque vinyle 45 tours de Baltimora (Tarzan Boy, EMI, 1985), deux CD's de Deftones (Around the Fur, Maverick, Warner Bros Records, 1997 et White Pony [édition "rouge" limitée à 50 000 exemplaires], Maverick, 2000), un CD deux titres de 2Unlimited (No limit, Single, Scorpio Music, 1992), un exemplaire du magazine Rock Sound (N°54, Janvier 1998).
    2. ^ Deftones, White Pony, Maverick, 2000.
  • Alban

    Alban est un vieil ami d’école maternelle. Je le perds de vue pendant des années, et nous nous retrouvons à l’adolescence. Alban est l’imprévisible de notre groupe. J’aime passer du temps avec lui pour cette raison, mais redoute en même temps cette imprévisibilité.

  • Marc

    Marc est le fils du conseiller principal d’éducation du lycée. Pendant un temps, nous sommes proches et allons souvent avec lui et Julien sur le skatepark de l’île Simon. Il disparaît un jour du quartier comme il est apparu. Un jour j’échange avec lui un short en velours vert que ma mère m’a fabriqué, contre le jeu Bugs Bunny pour Game Boy.

  • E.Leclerc

    Mes parents m’achètent un lecteur Cd portable et le deux titres No Limit[1][1]
    2Unlimited, No Limits!, Scorpio Musi...
    de 2Unlimited, lorsque nous faisons des courses au E.Leclerc Tours-Nord, un samedi matin. J’aime aller parfois dans ce E.leclerc dans lequel on sent une ambiance très différente du Super M où nous allons habituellement. Le plafond de l’entrepôt est beaucoup plus bas. La population qui fréquente ce supermarché est différente. Plus rurale me semble-t-il. L’endroit où les gens font leurs courses sont de vrais mondes miniatures, avec leurs valeurs, leurs manières et leurs habitudes. J’aime observer et sentir ces différences de tonalités.

    En décembre, l'odeur légère des sapins qui sont vendus pour Noël arrive jusqu'à la voiture, garée en face de l'entrée principale. Le bitume est mouillé, et comme la nuit tombe tôt, les réverbères jaunes du parking se reflètent sur le sol noir constellé de flaques. Mon Père vide le charriot dans le coffre. Le confort de l'intérieur de la voiture sèche et la qualité des odeurs et des sons qui affluent par le haillon ouvert m'a toujours plu. Quand mon Père le referme dans un claquement feutré et ramène le chariot, le silence devient pendant quelques secondes étrangement suspendu dans l'habitacle, et j'entends très distinctement et au moindre mouvement de sa part, le son du tissu de la manche gauche du manteau de ma Mère, assise à la place du passager.

    1. ^ 2Unlimited, No Limits!, Scorpio Music, 1993.
  • Simulacre

    Dernier jour de résidence (21 juin 2019). J’ouvre les volets « accordéon » en PVC de ma petite chambre pour la dernière fois. Je prépare mes affaires et quitte la maison, non sans ressentir un pincement au coeur. C’est en quelque sorte le simulacre qui rejoue l’arrachement d’il y a presque 20 ans. Je me dirige vers Auchan Saint-Cyr, et prends un petit déjeuner sur la « terrasse » de la « boulangerie » industrielle Marie Blachère. Un café allongé et un pain au chocolat sur ce semi-parking me semblent très bien pour clore cette semaine de résidence suburbaine. Je vois de l’autre côté de la rue, sur ma droite, l’emplacement du parking d’Auchan sur lequel nous nous sommes garés presque tous les samedi matin avec mes parents et Charles. Autrefois, la grande surface était un Super M. Nous allions fréquemment le soir à la cafétéria, qui se situait à l’autre bout de la galerie marchande. En face de moi, la circulation est déjà dense sur le Boulevard Charles-de-Gaulle. Il y a toujours ce vent frais, comme un compagnon. C’est une tristesse rassurante qui s’empare de moi.

  • Make Suburbia Great Again

    Make Suburbia Great Again 
    Casquette brodée (édition de 3) 
    2019 
    (Photo : Nicolas Bellet) 

     

  • Dernier jour

    Nous jouons pour la fête de la musique dans le jardin de devant chez nous. C’est mon dernier jour dans cette maison, mais je ne m’en rends pas vraiment compte. Je pense que c’est un mélange de déni et d’espoir en l’avenir. Ce moment du départ a lieu en suspension, de manière irréelle. Je crois que je n’ai pas envie d’y penser, et de me confronter à ce déménagement. J’ai fini de faire mes cartons, et je repousse la douleur le plus loin de moi, en me faisant croire que tout va bien aller, que quitter tout ça ne me touchera pas plus que ça. Ce 21 juin 2000 sort en France le troisième album de Deftones, groupe que j’écoute beaucoup depuis deux ans. J’écoute ce disque dans ma chambre vide quand notre « concert » est terminé (la voisine de derrière étant venue, exaspérée, nous demander d’arrêter). Je crois me souvenir que mon lecteur Cd et mes enceintes sont les derniers objets présents dans cette chambre. La musique de ce disque est donc la dernière qui imprègne la maison.

  • Cédric

    Cédric est le fils d’un agent du lycée. Il habite dans les logements de fonction dont l’entrée se situe en face de chez Aurélien, rue des Douets. Pour entrer dans le parking de ces logements, il faut passer par un grand portail blanc coulissant. Devant chez Cédric, il y a des ralentisseurs dont la cime est munie d’une barre en métal. Nous y faisons des grinds avec nos skates. Dans l’enceinte du lycée, nous jouons tous ensemble à la Gamelle le week-end. Cette période de quelques mois qui nous rassemble, malgré nos différents âges, achève une époque de communion innocente. Les plus vieux se séparent petit à petit du groupe. Julien et moi sentons que quelque chose approche.

  • Sfumato

    Le Sfumato du suburbain. La ligne claire de la ville. Je crois que je n’ai pas ressenti cette sensation de calme depuis bien longtemps.

  • Normalité

    Tomasa me raconte que le lycée avait ouvert alors même que l’éclairage du quartier n’était pas terminé. La rue des Douets était alors un chemin de terre, et les jeunes filles qui étaient internes, avaient peur de se rendre en bas de la rue sans lumière. Je ne m’étais jamais posé la question de la normalité de la juxtaposition d’un lycée de la taille de Choiseul avec une zone résidentielle pavillonnaire, dans un contexte rural.

  • Nouvelles

    Je remonte la rue des Douets, et discute quelques minutes avec la mère d’Aurélien devant chez elle. Elle me donne son numéro de téléphone et me dit qu’il vient la voir en général en fin de semaine. Je descends ma rue, puis tourne à gauche rue de la Clarté-Dieu. Je m’arrête à la Ferme des Douets et passe y voir les parents de Samuel et Alexis. Seule la mère d’Alexis est là, et me donne ses coordonnées. Il vit toujours en Californie et travaille dans la musique et le son. Je verrai les parents de Samuel le lendemain, qui m’apprendront qu’il vient de déménager à la Milletière avec sa femme et son fils.

  • Samuel

    Samuel habite dans la maison mitoyenne à celle d’Alexis. Nous formons un groupe de néo-métal tous les trois durant un temps : Samuel à la batterie, Alexis à la guitare, et moi passant de la basse au chant. Julien a tenté deux ou trois fois de nous accompagner à la guitare, mais ça n’a jamais rien donné. Peut-être à cause de notre différence de quelques années, non négligeable à cet âge. Les répétitions ont lieu à l’étage, dans la chambre de Samuel, et nous jouons seulement quand nous sommes seuls dans la maison pour ne pas déranger, autant dire assez peu souvent. Nous ne fabriquons que deux ébauches de morceaux en quelques mois. Alexis baptise le groupe Dwayne. Il existe un enregistrement d’une répétition.

  • Ressassement

    Le quartier ne change pas. Son identité non plus. Les anciens signes sont simplement remplacés par des nouveaux, doucement, un peu comme le chant des baleines se renouvelle lentement, années après années. La pulsation de mon quartier est un ressassement continu, une psalmodie sonore, spatiale et formelle. Je suis le gardien du temple.

  • Alexis

    Alexis habite à la Ferme des Douets. C’est un endroit à part dans le quartier, puisque seul vestige historique rural d’avant la construction de la zone pavillonnaire. Les quelques logements qui ont été créés dans ce corps de ferme possèdent donc des qualités qui contrastent avec le reste des habitations. Alexis est le premier de nous tous à avoir une guitare électrique et un ampli Marshall. Nous écoutons et aimons les même groupes, et une petite rivalité existe entre nous pour jouer des covers de certains morceaux à la guitare. J’ai plus d’intuition et de dextérité musicale que lui, et je gagne souvent (vu son arrogance naturelle, je me permets cette petite victoire rétrospective). Il est en revanche plus agressif et plus courageux que moi sur un skateboard, et son niveau devient vite difficile à suivre. Il passe en hollie les plots en béton qui sont devant le lycée. Ces plots circulaires sont massifs et hauts d’environ 60 cm, ce qui commence à faire. Il saute aussi un gap impressionnant, dans la cour d’une industrie dans laquelle nous allons le week-end. Julien et moi l’admirons pour ça.

  • Silence

    Les quelques lycéens qui attendent, arrivent et repartent sont éparpillés sur le parvis. Nous sommes les uns à côté des autres, dans un silence rompu régulièrement par le passage d’une voiture, ou d’un bus ; sentiment identique à la fin d’un repas de famille, quand vers 2 ou 3 heures du matin, le silence s’impose, cotonneux et sourd. J’observe les maisons de l’autre côté de la rue et je ressens une sensation étrange de paradoxe entre la vision de l’objet « pavillon » depuis l’extérieur, et tout ce qui peut se passer dedans : toute la complexité d’une vie de famille a lieu dans cette forme minimale.

  • Topographie

    La pente devant le lycée coule sur la rue des Douets, qui descend elle-même vers le sud du quartier. J’aime cette topographie qui multiplie les points de vue dans cette grande ligne droite. Nous nous amusons à sauter par dessus les lettres démesurément longues du mot « ECOLE » avec nos skates ou en BMX. L’été, il fait parfois tellement chaud qu’on peut déformer ces lettres en les poussant avec nos pieds. Elles glissent mollement dans leur écrin de goudron fondu.

  • A Hunting Scene

    A Hunting Scene 
    Photogramme (impression unique) 
    50 x 70 cm 
    2019 
    (Photo : Nicolas Bellet) 

     

  • Expertise

    Julien et moi sommes les Princes de ces territoires suburbains. Aucun endroit, recoin ou détail ne nous est inconnu. Nous savons comment négocier chaque virage, pente, bosse, passage délicat ou interdit, avec une grande dextérité. Nous connaissons intimement cette géographie miniature. C’est cette expertise du terrain qui nous lie, un peu comme des « gens de mer », ou de montagne. Le quartier des Douets est un contexte « faible », plein de trous et de manques dans son ensemble. Nous sommes ce qui comble ces manques, et sommes les seuls à vivre pleinement l’espace public des lieux durant toutes ces années.

  • Tomasa

    Tomasa m’invite à déjeuner chez elle. Situation intéressante, puisque je me trouve dans la cuisine de la maison d’en face la mienne. Une forme de contrepoint. Elle me prête quelques photos sur lesquelles on me voit enfant, devant chez elle, et deux autres, sur lesquelles on voit la maison sous la neige, probablement à la fin des années 70. Dans un cadre du salon, il y a une photo de son chien Blackie, dont je me souviens bien.

  • Exotisme

    Jérémie et Erwan sont mes deux plus anciens amis. Je les rencontre durant ma première année de maternelle à l’école Pérochon. Jérémie habite dans un logement de fonction situé sur le terrain des abattoirs avec sa mère et sa soeur, au bout de la rue de Suède. Nous faisons du vélo dans la grande pente derrière chez lui. Il y a en haut de cette pente deux grandes cuves en béton à ciel ouvert dont il ne faut pas trop s’approcher. Je suis fasciné par ces cuves qui me paraissent gigantesques et dans lesquelles on pourrait tomber.

    Erwan habite à la Milletière. C’est un quartier plus récent des années 90. Le tissu pavillonnaire y est plus dense et haut qu'aux Douets. Quand j’y vais, j’y ressens d’autres émotions, directement liées à la différence des formes, de l'allure et de largeur des rues : une sorte d’exotisme, à quelques centaines de mètres seulement de chez moi. La population n’est pas la même, mais je ne sais pas m’expliquer ce qui est différent parce que j’ai 9 ans quand je commence à m'y rendre seul. La majorité de mes amis d’école habite à la Milletière. Il y a d’ailleurs beaucoup plus d’enfants là-bas. Je me sens privilégié quand je compare ma maison et mon quartier aux leurs.

  • 1961

    1961 
    Photographie IGN, punaise rouge 
    23 x 23 cm 
    2019
    (Photo : Nicolas Bellet) 

     

  • Rituel

    Le parc de la Cousinerie, réalisé plusieurs années après notre départ du quartier, est un bon prétexte pour nous y rendre, mes parents, mon frère et moi, dès que je rentre à Tours. La balade agréable que nous y faisons comme un rituel nous permet d’abord de passer devant notre maison, de descendre notre rue, et de refaire le trajet de l’école, sans trop savoir pourquoi. Il se joue dans cette litanie familiale beaucoup de choses.

  • Grasshopper II

    Éric, le grand frère de Vanessa a reçu sa Grasshopper II[1][1]
    Tamiya, The Grasshopper II, 1988 (ré...
    de chez Tamiya.

    Quand il ouvre la boîte, je découvre que la voiture est en pièces détachées, et qu’il faut la monter avant de pouvoir s’en servir, ce qui rajoute à la fascination que j’ai devant cette « vraie » voiture radiocommandée. La vitesse à laquelle elle va une fois montée m’impressionne encore plus.

    Nous en possédons bien sûr tous une par la suite (Aurélien a eu auparavant un modèle Fast Traxx[2][2]
    Tyco, Fast Traxx, 1990....
    de chez Tyco, et moi un autre, à chenilles également, dont j’ai oublié le nom), et nous passons beaucoup de temps à les utiliser dans la rue et la cour du lycée le week-end.

    J’achète un jour un moteur plus puissant. Par la suite, nous avons des modèles thermiques.

    La rue des Douets, la cour du lycée et les parkings des industries, aux limites du quartier, sont parfaits pour faire ça.

    1. ^ Tamiya, The Grasshopper II, 1988 (réedition en 2017).
    2. ^ Tyco, Fast Traxx, 1990.
  • Ennui

    S’ennuyer avec délectation. Affronter quelques souvenirs, l’endroit et sa permanence.

  • Charles

    Charles 
    Photographie (impression unique) 
    40 x 30 cm 
    2019 
    (Photo : Nicolas Bellet) 

     

  • Désuétude

    Il y a une forme de désuétude travaillée, ainsi qu’une mélancolie calme dans la manière dont notre maison est habitée. Je ressens rarement cette émotion chez les quelques amis dont je connais la maison.

  • Trottoir

    Vanessa nous attend, Aurélien et moi pour une partie de Monopoly chez ses parents. Nous ne la voyons pas souvent. Elle ne fait pas « vraiment » partie de notre groupe parce qu’elle ne sort pas loin de chez elle, contrairement à nous. Les Pogs[1][1]
    MANDRAUD Isabelle, Une stratégie marketing sav...
    font aussi partie de nos activités favorites, assis sur le trottoir devant sa maison, ou devant le lycée.

    L’été, habillé en short, j’aime la sensation du goudron chaud sur mes mollets, quand nous restons par terre de longues heures. Quand nous nous levons enfin, nous avons souvent la marque des aspérités du sol, et quelques petits graviers noirs qui restent collés à notre peau.

    1. ^ MANDRAUD Isabelle, Une stratégie marketing savamment étudiée. Pinto et Savino, déjà Papas des Crados, ont commencé par une distribution gratuite de Pog, Libération, 1995.
  • 1979

    Je rencontre Camille en passant devant sa maison. Il me fait entrer dans le garage. La fraîcheur et l’odeur contrastent fortement avec le dehors. Le soleil tape sur la façade et le sol minéral qui réverbère la chaleur.

    Joseph est chez lui. La femme de Camille me propose un jus d’orange. Il m’expliquent qu’ils sont arrivés en 1979, mais que pendant 10 ans, ils ne venaient que le week-end pour « finir » la maison, puisqu’ils vivaient tout ce temps dans un logement de fonction à Joué-lès-Tours. Joseph repart demain à Madagascar avec sa femme.

  • Pavillon Témoin

    Pavillon Témoin 
    Affiche (tirage à 5 exemplaires) 
    70 x 50 cm 
    2018 
    (Photo : Nicolas Bellet) 

     

  • Piscine

    L’été, nous installons une piscine en plastique vert, quand il fait trop chaud, sur la terrasse à l’arrière de la maison. Elle est beaucoup trop petite pour Charles et moi, et Sully boit l’eau que nous amenons dedans avec de grandes casseroles. Chez les autres, il y a de vraies piscines, mais je préfère la nôtre, inadaptée et éphémère.

  • Balafre

    Julien descend la butte sur son petit VTT, côté CNAV, sur le chemin bitumé qui est dans la continuité de la rue de Bonne-Nouvelle. Il ne parvient malheureusement pas à s’arrêter et finit sa course dans le grillage simple torsion qui surmonte le muret longeant le chemin. Sa joue est ouverte. Il s’est planté un croisillon métallique dedans. Il saigne et je pars sur mon vélo Peugeot Mosaïque violet, le plus vite possible, chercher ses parents pendant qu’Alban reste avec lui.

  • Pente

    Le jardin de devant chez nous est en pente vers la rue. Un grand pin est planté au centre du parterre entouré de dalles gravillonnées de 50 x 50 cm. Nous descendons cette pente maintes et maintes fois, Charles et moi, sur son petit tracteur en plastique orange. 

  • Paul Bouron, Architecte du quartier des Douets

    Paul Bouron, Architecte du quartier des Douets 
    Entretien filmé 
    09′36″ min 
    2018 
    (Vidéo : Mikazuki Productions) 

     

  • Regroupement

    « Jean-Michel est rentré avec sa voiture dans le lampadaire en bas de la rue Fontaine-les-Blanches ! », me dit Julien. Il vient juste d’avoir son permis. Pas de casse, si ce n’est du matériel. Pendant un temps, j’aime participer à des rassemblements le vendredi soir, devant chez Jean-Michel. Ses deux grands frères ont des voitures. Des amis à eux les rejoignent pour discuter devant leur maison. Ils ont une cibie, et disent souvent “Attention, les stations, c’est pour un essai TX ”. Je ne comprends pas vraiment ce qu’ils font, mais ce qui nous plaît, c’est d’être là avec eux. Nous sommes assis un peu à l’écart, Jean-Michel, Julien et moi, sur le bord du trottoir. Nous parlons, et observons surtout leurs R5 vaguement tunées. Parfois, des filles les accompagnent.

  • Bribes

    Je pense au raccourci entre le collège et ma maison, par le parking réservé au personnel du lycée.

    Je revois Nicolas descendre la rue des Douets dans sa Golf GTI, et se baisser pour monter le volume de son autoradio, en passant à notre hauteur.

  • Garage

    Notre garage est rempli de cartons de déménagement qui n’ont jamais été vidés. Un passage est ménagé sur la gauche, et me permet de faire le tour de la maison sur mon petit vélo rouge. On vient de m’enlever les roulettes, et je vais vite pour ne pas tomber. Plusieurs fois, j’accroche la poignée de mon guidon dans cette montagne de cartons, et finis ma course le visage sur la dalle fraiche de béton brut. Au fond du garage, il y a des casiers métalliques qui permettent à mes parents de stocker des bouteilles de cidre qu’ils achètent à un producteur local. Son cidre n’est pas aussi bon que le normand, mais il suffit à faire illusion puisqu’il est artisanal, brut, et peu sucré.

  • The Pilgrims

    The Pilgrims 
    Photographie (impression unique) 
    137 x 92 cm 
    2016 

     

  • Type IV

    Aurélien est abonné à Pif Gadget. Il n’en rate pas un seul numéro. Nous fêtons tous les ans son anniversaire en compagnie de ses parents et de son frère. Sa mère souhaite toujours bien faire et semble heureuse dans ces moments où nous sommes rassemblés. J’aime observer la manière dont les gens se comportent ; les détails, les attitudes et les intonations de voix. L’intérieur de la maison est un ensemble de beiges, bruns, et quelques pointes de bleu (le sol du carrelage dans le couloir). Il flotte une odeur de boiseries cirées et de cuisine.

    Il y a derrière chez lui un très grand jardin dans lequel son père fait pousser des légumes. Deux noisetiers protègent des regards extérieurs la terrasse de la maison, ce qui donne réellement l’impression que le salon se prolonge dans le jardin quand la porte-fenêtre de derrière est grande ouverte.

    Ce grand jardin donne sur la petite place publique triangulaire dont j’ai déjà parlé. Des groseilles poussent le long des lices de clôtures au fond du jardin d’Aurélien, et j’en mange toujours une bonne quantité en passant sur la place, à pied ou à vélo. Sa maison est un type IV, plus petite que chez moi, donc. J’aime observer les différences et les similitudes entre nos deux maisons. Une forme d’inquiétante étrangeté.

  • Ensembles

    J’essaie de comprendre quels ensembles de choses déclenchent chez moi des émotions agréables. Par exemple, l’ensemble « ciel bleu -cerisier - antenne Cibie sur le pignon d’un pavillon - avion à réaction ». Ou encore « haie - bordure de trottoir - hangar à l’horizon, entre deux maisons toutes proches ».

  • Tilleul

    Au fond de notre jardin, on voit le pignon crépi blanc-crème du voisin. Son rez-de-chaussée est plus haut que le nôtre d’environ un mètre. Un talus rattrape cette différence de niveau sur toute la limite séparative entre les deux parcelles. Sur ce talus, sont plantés de petits arbres et des haies dans lesquelles nous faisons une cabane avec Charles. Côté terrasse, un tilleul possède une branche stratégiquement placée pour me permettre de monter dedans facilement. Je n’ose pas cependant dépasser une certaine hauteur, les branches devenant vite assez maigres. Une ligne de désir forme le seul cheminement qui permet de faire le tour de la maison. C’est notre chien Sully qui en est le principal artisan. Je lui apporte mon aide depuis que je tourne sans m’arrêter avec mon petit vélo rouge.

  • Rue du Prieuré de l'Encloître

    Rue du Prieuré de l'encloître 
    Reproduction de plans (élévations originales d’un pavillon type construit en 1972, ZAC des Douets, Tours) 
    35,5 x 116 cm 
    2016 

     

  • Cuisine équipée

    Julien a une maison identique à la mienne. Un T5 articulé autour d’un long couloir central assez sombre, qui dessert les différentes pièces. Nos maisons sont extérieurement un peu austères, et semblent proches de leur état d’origine. Chez Julien, la cuisine, qui a été modifiée plusieurs fois, est « équipée », et tout est intégré. Il y a un banc en bois qui flanque en angle les cloisons du fond de la pièce. Je considère à l’époque que c’est quelque chose de bien, mais je ne sais trop expliquer pourquoi, si ce n’est que je trouve que ça invite à partager un repas ensemble. Et puis, il n’y en a pas chez moi. Chez Julien, il y a toujours une bouteille de vin rouge entamée, posée sur la table ou sur le plan de travail, à gauche de l’évier ; des baguettes de pain coupées, dans un panier en osier aussi.

    L’autre endroit important est le salon, qui chez lui, est côté rue. Il y a la télévision et un décodeur Canal +. Tout ceci est très attrayant pour moi, puisque je n’ai pas de télévision. Nous regardons peut-être 20 ou 30 fois  en 2 ans la Cité de la peur. Un jour, nous achetons notre première cassette vidéo de skate au Décathlon de la Petite Arche. Nous venons juste de commencer à en faire. Cette cassette, dont j’ai oublié le titre, est une sorte de compilation de vidéos mêlant old-school américain, clips musicaux et séquences tournées en skatepark. Le contenu est encore teinté d’une atmosphère 80’s très commerciale fluo-californienne. Rien à voir avec les cassettes 411 à venir, que nous étudierons avec soin. Il y a un PC dans la chambre du fond de la maison de Julien, à gauche (la chambre de Charles, chez moi). C’est le bureau de sa mère. Elle est ma maîtresse d’école en CE1. Dans ce bureau, y a un piano blanc sur lequel nous nous amusons, et ce PC sur lequel nous jouons à Half-Life et à Carmageddon.

    Le jardin de derrière chez lui me plaît. Il n’est pas particulièrement travaillé. Il y a une terrasse simple (un dallage en pierres), et un gazon plus ou moins entretenu en fonction des moments de l’année. Au centre de cette terrasse est disposé un salon de jardin en plastique blanc. Ce jardin donne sur celui de ceux que nous surnommons « les fous », un couple, et deux garçons étranges. Le plus jeune est inquiétant sur sa mobylette. Il nous défie du regard et ralentit quand il passe à notre hauteur devant le lycée. Finalement, il ne se passe jamais plus que ça entre nous, malgré toute la mythologie que nous développons autour de cette famille.

  • Porte automatique

    9h15. Dans la galerie marchande d’Auchan, j’attends que le cordonnier ouvre sa boutique pour récupérer le tampon encreur que je lui commandé. Je viens de prendre au café au « Bouchon ». On prend vite des habitudes. Assis sur un banc au milieu de la galerie, j’entends le son du fer à repasser du pressing qui est à quelques mètres. Petit à petit, les rideaux métalliques ouvrent dans les différentes enseignes (Okaïdi, Body minute, Camaïeu… ). La porte automatique séparant la galerie du parking s’ouvre et se ferme en émettant un bruit de frottement. Au bout du banc sur lequel je suis assis, une fille et sa mère se chamaillent à propos du fonctionnement du portable de la mère.

  • Chaud-froid

    La salle de bain est au fond à gauche de notre maison. La baignoire entourée de faïence vert d’eau prend toute la largeur de la pièce, sous la fenêtre haute en bande, sur le mur du fond. Comme je suis grand, je me dis qu’on doit voir la silhouette de ma tête depuis la rue, à travers le verre opaque. J’ai alors pleinement conscience de la finesse du voile qui sépare l’intérieur de l’extérieur, et j’aime la chaleur de l’eau en pensant à l’air froid du dehors, en hiver.

  • Super M

    Super M 
    Photomontage (impression unique)
    25 x 33 cm 
    2016

     

  • Aurélien

    Aurélien m’ouvre la porte. Je passe la plupart de mes mercredis matins en sa compagnie. Seul chez lui à ce moment de la semaine, sa mère qui travaille à mi-temps, rentre le midi, et c’est alors pour moi le moment de partir. Durant toute la matinée, nous regardons Dragon Ball Z au Club Dorothée, ou des cassettes vidéo qu’il enregistre lors du passage des films à la télévision. Je crois que nous avons regardé un nombre incalculable de fois Retour vers le futur (surtout les deux premiers), des films avec Terence Hill et Bud Spencer. Aurélien est aussi un fin connaisseur des films avec Louis de Funès. Nous usons La Soupe aux choux autant que La Zizanie. Ce qui donne une particularité au visionnage de ces cassettes, c’est qu’elles sont entrecoupée de publicités. Leur amorce et leur fin sont contenues dans le contexte télévisuel dans lequel ces films ont été enregistrés. Je crois que sans le formuler aussi clairement à l’époque, je suis très conscient de la différence que cela crée avec le fait de voir des films au cinéma, ou sur une cassette commerciale. Ce moment télévisuel capturé et figé dans son état me plaît beaucoup. Nos visionnages successifs ressemblent à des rituels scandant la semaine ; comme l’élément articulant la liturgie de mon mercredi.

    Nous jouons beaucoup à la NES. Aurélien est bien meilleur que moi à Mario, mais je préfère de loin Off-Road et Duck Hunt. Son père est persuadé que ce jeu (auquel il faut jouer avec un pistolet[1][1]
    NINTENDO, NES Zapper, 1985....
    pour tirer vers l’écran), abîme la télévision qui n’est « pas faite pour ça ».

    1. ^ NINTENDO, NES Zapper (orange), 1985.
      ​​
  • Galerie marchande

    Mauvaise nuit. Trop chaud. J’ouvre la petite fenêtre et écoute le calme du quartier. J’entends au loin les pleurs nasillards et intermittents de quelques scooters, venant du quartier de l’Europe. Je me rendors jusqu’à 8h20. Puis, je prends une douche et pars en voiture à Auchan Saint-Cyr pour aller prendre un café au « Bouchon » situé sur la droite de l’entrée de la galerie marchande. En prenant ce petit déjeuner avec vue sur le parking qui se remplit déjà, je me dis que je peux bien hanter mon quartier une semaine de plus, 20 ans après, que je ne sais pas vraiment pourquoi je le fais, mais qu’il est agréable d’avoir le luxe de retrouver cet ennui périurbain que j’aime tant.

  • Charles

    La chambre de Charles est la plus lumineuse. Elle donne côté sud et j’y passe plus de temps depuis qu’il a un peu grandi. Nous restons de longues heures assis ou allongés à jouer au sol. Il aime les trains miniatures et les figurines Action Man. Sur le lino vert de sa chambre, nous jouons aussi au TCR changement de file[1][1]
    Mattel France, TCR Changement de file Alain Pr...
    . Il me semble d’ailleurs qu’il était à moi et qu’il en a hérité. Il y a un petit lit en mezzanine dans le prolongement de la porte, un berceau rempli de peluches dans le fond de la pièce, et une grande armoire blanche sur le mur de gauche, à côté de la porte-fenêtre.

    1. ^ Mattel France, TCR Changement de file Alain Prost, 1990.
  • Super M

    Super M 
    Impression sur sweat shirt (édition de 2) 
    (d’après le logo de la marque de grandes surfaces Super M, disparue dans les années 90) 
    2016 
    (Photo : Nicolas Bellet)

     

  • Lionel

    Lionel me rase la tête. En septembre, j’entre en seconde au lycée Choiseul, et j’ai décidé de me débarrasser de mes dread-locks. Je me laisse pousser les cheveux depuis la fin de la quatrième, et ne les lave plus depuis le milieu de la troisième. Lionel possède une tondeuse, et expérimente aussi depuis peu différentes coupes et décolorations peroxydées. Une sorte de période de tests capillaires en commun. Nous sommes dans le jardin à l’arrière de sa maison. Je suis assis sur une chaise au milieu du carré de pelouse, et j’aperçois la Choiseulerie. Son jardin de derrière donne sur la rue de Suède. La haie de thuyas et le portail munis de cannisses d’osier ne suffisent pas à isoler totalement le jardin du petit chemin bitumé qui le longe. Je vois des paquets de cheveux tomber au sol et sens ma tête s’alléger. Je pense joyeusement à la réaction des miens quand je vais pousser la porte avec le crâne rasé.

  • Péri-urbain

    J’apprends ce soir en lisant[1][1]
    MARCHAL Hervé, STÉBÉ Jean-Marc , La France Pér...
    que c’est en 1983 (année de ma naissance), que la géographe Jacqueline Beaujeu-Garnier invite explicitement à utiliser le nouveau terme « péri-urbain » à la place de « banlieue », afin de saisir une nouvelle réalité, un lieu de contact où s’interpénètrent et s’affrontent deux mondes : le rural et l’urbain. J’apprends également que l’angle mort sociologique concernant le périurbain s’étend de 1950 à 2000, année durant laquelle j’ai quitté ma maison et mon quartier.

    1. ^ MARCHAL Hervé, STÉBÉ Jean-Marc , La France Périurbaine, Que sais-je ?, 2018, p.35
  • Calme

    La chambre de mes parents est sombre. La tapisserie est bleu-marine et or. En entrant, il y a une armoire imposante sur la cloison de gauche. Le lit est centré sur le mur de droite, avec de chaque côté, une petite table de nuit en bois sombre. Un guéridon, à gauche de la porte-fenêtre accueille divers bibelots, et de grandes fleurs séchées dans un vase en verre démesuré. Cette chambre est sereine et reposante, et quand j’y suis, je sens toujours comme une sensation de calme. Un jour que je rentre seul à la maison, j’y trouve la porte-fenêtre ouverte. L’alarme a joué son rôle et a fait fuir les cambrioleurs.

  • Souvenirs goutte à goutte

    Souvenirs goutte à goutte 
    Crayon feutre sur calque 
    40 x 32 cm 
    2016 

     

  • Heelflip

    Julien s’acharne à « rentrer » ce heelflip qui lui résiste, en descendant le trottoir qui fait l’angle entre la rue des Douets et la rue du Prieuré de l’Encloître. Ce trottoir est assez haut. Il a été construit pour rétrécir la rue devant le lycée, et créer une sorte de quai pour les bus de la ligne 1. C’est notre spot favori. Nous grandissons, nous le savons, et tout ceci aura une fin. Rester fidèle au trottoir sur lequel nous avons réussi nos premiers hollies est une marque de respect. Nous aimons l’endroit au premier degré. Nous avons plusieurs fois répandu notre sang sur le bitume de ce trottoir. En ce sens, il fait partie de nous.

  • Blanc-jaune

    Pour cette semaine de résidence dans le quartier, je loge dans une petite chambre qui fait à peu près la taille de celle que j’occupais dans notre pavillon. Il y a ici aussi une odeur caractéristique de papier peint récemment collé, et du carrelage blanc 60 x 60 cm au sol. Un classique.

    J’ai ouvert la petite fenêtre qui donne sur le jardin de devant et la rue. La lumière blanc-jaune du soleil de fin d’après-midi vient comme « couler » horizontalement sur la haie de thuyas, la pelouse du jardin et les lices de béton peintes en blanc. Les ombres sont longues sur l’enrobé de la rue. Le chant d’un merle est clair et fort. Il se réverbère dans les environs, sur les murs des pavillons.

    Les persiennes en PVC blanc sont presque identiques à celles que nous avions dans notre maison.

    Un jeune enfant pleure dans le jardin d’en face. La propriétaire de la maison dans laquelle je suis hébergé fait la vaisselle, et j’entends les sons qui résonnent à travers les cloisons fines.

    L’odeur de dehors entre dans ma chambre et le produit olfactif du bitume chaud, de la végétation qu’on arrose et de la pièce me met dans un état de bonheur suspendu.

  • Singer

    La pièce à tout faire de mes parents est juste à côté de ma chambre, sur la droite en avançant dans le couloir. Le bureau de ma mère se situe le long de la cloison droite, en entrant. Dessus, il y a une machine à coudre Singer verte. Son bureau est envahi de morceaux de patrons en papier beige et de nombreux bouts de tissus. Le bureau de mon père se trouve en face, le long de la cloison gauche. Il est parfaitement rangé, et j’aime ouvrir le tiroir du haut pour y prendre des aimants rouges et des trombones avec lesquels je joue. Un globe terrestre sur son bureau m’attire beaucoup. J’aime passer du temps sur la moquette beige râpée de cette pièce. La fenêtre est identique à celle de ma chambre et donne sur le jardin de derrière. La cloison côté porte est intégralement occupée par de grandes étagères faites maison, posées sur équerres et crémaillères métalliques blanches. Sur ces étagères sont stockées un nombre incalculable d’affaires diverses. Dessous sont entreposés un lit-cage et un vieux canapé en velours côtelé marron (lui aussi râpé). La tapisserie est blanche avec de grosses fleurs jaunes et orange.

  • 2001

    2001 
    Tirage en piezographie (édition de 10) 
    21 x 29,7 cm 
    2016 

     

  • Banco

    Philippe me vend mon cinquième Banco de la semaine. J’ai eu de la chance sur les deux derniers et remets en jeu aujourd’hui les cinq euros gagnés hier. Grattage ; ongle couleur gris métallisé ; perdu. Je gratte par plaisir le « Nul si découvert ». L’odeur de la Choiseulerie est un mélange de papier glacé, de tabac et de bonbons acidulés. J’y achète tous les mois Rock Sound avec son sampleur « encarté », sur lequel je découvre des groupes que personne ne connaît. Nous avons acheté la semaine dernière un paquet de dix Marlboro avec Alban, que nous nous sommes partagé. Je vais en fumer une parfois dans le petit chemin qui relie la rue de la Clarté-Dieu à la Choisille, en face du chemin de la ferme des Douets. Je ne sais pas pourquoi je fais ça. C’est vraiment dégueulasse, et ça me fait tourner la tête. Je crois que ce que j’aime là-dedans, c’est de me retrouver tout seul à quelques centaines de mètres de chez moi, à faire un truc un peu border le soir, en sachant très bien que je vais retrouver quelques minutes plus tard, la normalité rassurante de la maison : le son du portillon qui racle le poteau de béton à l’ouverture ; celui de la porte d’entrée ; l’odeur de la maison qu’on ne sent que quand on en sort suffisamment longtemps, et qu’on y revient ensuite.

    Je ne suis vraiment pas un tough guy, mais ça me va.

  • Place

    Je retrouve la maison d’Olivia rue d’Argenson. Le type de pavillon habité par les nouveaux propriétaires est différent du mien, comme tous ceux qui sont situés autour de la place Louvois.

  • Chambre

    Ma chambre est la première sur la droite dans le couloir. Au sol, il y a une moquette rase bleu-gris clair, mais un tapis bleu marine occupe une bonne partie de l’espace central de la pièce. Une fenêtre carrée centrée dans la chambre, donne sur le jardin de derrière. Un lit en mezzanine prend presque toute la place et dégage au sol un espace conséquent. Mon bureau est en dessous, et l’espace sous l’escalier sert d’étagères. Une vieille commode à tiroirs qui grincent accueille mes vêtements (il y a de grands morceaux de papier au fond des tiroirs pour les protéger), et une étagère en pin croule sous le poids des bandes dessinées, sur le mur du fond, à droite de la fenêtre. La tapisserie a été refaite trois fois depuis que je suis petit. Il y a d’abord eu des skieurs sur fond bleu, puis des BMX faisant différentes figures, et enfin des dessins géométriques noirs sur fond blanc cassé. On ne se rend pas assez compte du temps qu’on passe dans une vie d’enfant à méditer devant les motifs répétitifs d’une tapisserie.

    Plus tard, sur l’étagère à bandes dessinées, je fais une place pour y insérer mon nouvel ampli Marshall 10 watts. Je m’entraîne à jouer en intégralité l’album « bleu » de Weezer, Around the fur de Deftones, Aenima de Tool, et Subconscious Nocturnal Activity de Sleeppers, sur mon Ibanez GIO bleu marine. Ma pédale d’effets ZOOM 707II Guitar me permet d’imiter vaguement la texture de certains effets entendus. Quand j’ai les moyens de m’acheter un MiniDisc, j’enregistre mes premières « compositions », en faisant du bricolage en multipistes. C’est archaïque et laborieux, mais ça fonctionne bien avec la belle lumière de fin de journée qui entre par la fenêtre de ma chambre. Durant cette période, je suis heureux à plein temps.

  • Rue du Prieuré de l'Encloître

    Rue du Prieuré de l'Encloître 
    Maquette en carton gris (échelle 1/50ème) 
    2013

     

  • Olivia

    Olivia marche à côte de moi. C’est ma première petite amie. Je la raccompagne chez elle, rue d’Argenson, en sortant du collège. Nous sommes en Sixième. Au moment de la quitter, je ne l’embrasse pas. Trop impressionnant pour moi. Il faut trouver dans cette situation embarrassante (face à face, rue de la Chatonnière, elle sur la route, moi sur le trottoir), une manière de tourner les talons, après avoir regardé mes pieds. Je marche, me retourne après quelques mètres, et la vois tourner sur la gauche, en sachant au fond de moi que je manque quelque chose, et que c’est déjà fini.

  • Séquence

    Je descends ma rue, toujours sur le trottoir de gauche. Il y a un ordre des choses, une séquence à respecter, un sens qui ne peut être trop modifié. Pour moi, c’est le trajet de l’école que j’ai fait seul à partir du CP. Je ne peux pas infléchir cette latéralisation du quartier, le début et la fin du parcours. C’est un ordre du monde, établi une fois pour toutes. Mon quartier existe dans un seul sens.

    Je passe à côté du cerisier dont les branches surplombent le virage de la rue Fontaine-les-Blanches. Traverser ce carrefour m’a toujours plu. Les racines des arbres devenus imposants dans les jardins déforment les trottoirs. Il y a des bosses et des craquelures dans le goudron. En face de la rue Fontaine-les-Blanches, à gauche de la maison de Camille (un autre que moi, plus âgé), il y a le petit chemin étroit qui mène à une placette donnant derrière chez Aurélien. Cette petite place en stabilisé ne sert à rien en particulier. Elle est un résidu central entre trois groupements de pavillons, et dessert plusieurs petits chemins dans lesquels nous passons notre temps à faire du vélo. J’entends un bruit de vaisselle par la fenêtre d’une cuisine ouverte. Une main sort de la fenêtre d’un salon, et fait claquer un chiffon pour en détacher la poussière. La blancheur des façades est éclatante sous le soleil matinal. Le poste de transformation haute tension du bas de la rue ressemble à une petite maison dans la forêt.

  • Table normande

    Le carrelage est constitué de petits carreaux de 1x1cm, dans les tons bordeaux-rouge-brun-violet. Quand on marche pieds nus dessus, on sent les joints qui accrochent un peu la plante des pieds. Ce carrelage est continu dans l’entrée, le couloir et la cuisine, mais des barres de seuils vissées marquent tout de même les différents espaces. La porte de droite qui mène à la salle à manger, directement depuis l’entrée, est condamnée. Derrière elle, il y a un meuble à portes vitrées, sur lequel est posé le téléphone. On entre donc par le salon, en face de la porte d’entrée. La salle (comme on l’appelle en Normandie, sans distinction entre salon et salle à manger), est une grande pièce traversante. Les portes-fenêtres qui donnent sur l’arrière laissent voir la terrasse entourée de haies touffues de troènes. Les trois portes-fenêtres d’en face, qui donnent sur le jardin de devant et la rue, sont occultées par des voilages blancs légers. Comme c’est la façade qui est exposée au sud, le soleil se diffuse dans ces voilages, et on suit toute la journée au sol le trajet elliptique des trois rectangles de lumière sur le lino blanc-crème tacheté. Une très longue table de bois de plus de trois mètres et ses deux bancs traversent toute la pièce en longueur. C’est une table normande que mes parents ont gardée du temps où ils louaient une maison à la campagne, dans le Cotentin. Nous n’avons pas de télévision. La salle est organisée autour de cette grande table, et d’une table basse brun foncé, entourée d’une banquette et de trois fauteuils bleus. Dans le fond de la pièce, une belle bibliothèque accueille une partie des nombreux livres de mes parents. Cette pièce sent le bois ciré, le papier et, comme les fenêtres sont souvent ouvertes sur le jardin, l’air frais et boisé du dehors. J’écoute beaucoup d’histoires pour enfants dans cette pièce (Tintin, Mes histoires à moi, Les animaux du bois de quat’sous, Le bon gros géant), parce que le lecteur de cassettes (puis de Cd’s par la suite), est ici. Je tourne en marchant en chaussettes sur le tapis, autour de la table basse en écoutant. C’est ma manière à moi de me concentrer : Écouter, marcher, et observer les motifs géométriques du tapis. La salle est agréable. Ma mère y accorde avec goût des objets, des plantes et du mobilier assez hétérogènes, mais toujours de façon très précise. Une sorte de savoir intuitif et sensible, de ce qui fonctionne, ou pas.

  • Rue du Prieuré de l'Encloître

    Rue du Prieuré de l'Encloître 
    Axonométrie au crayon sur papier quadrillé 
    42 x 29,7 cm 
    2012 
    (Photo : Nicolas Bellet) 

     

  • Fabien

    Fabien remonte la rue vers le lycée. Il me repère rapidement et me fait signe. Il s’est acheté dernièrement un manteau en skaï un peu trop grand pour lui. Fabien le porte tout le temps, fièrement, et quand il bouge, juste à côté de nous, on entend les grincements cinématographiques de son « cuir ». Son obsession : toujours avoir suffisamment de cigarettes. Quand il s’en allume une, il compte celles qu’il lui reste du bout de l’ongle de son index fin. Il nous annonce systématiquement le résultat. C’est devenu une blague entre Charles et moi. Dès que nous voyons un paquet de cigarettes, nous demandons systématiquement combien il en reste dedans.

    J’apprends dernièrement que Fabien est décédé il y a quelques années déjà.

  • Sons

    9h30. Il fait chaud, le soleil tape déjà. J’arrive en voiture par la route habituelle, si ce n’est que je suis dévié de mon itinéraire rue Pierre-et-Marie-Curie, et suis obligé de passer par la rue du Maine et la rue de Franche-Comté. Il y a des travaux sur l’Avenue du Danemark qui permet de contourner le site de STMicroelectronics, depuis que la rue des Douets a été privatisée par cette entreprise. Je me gare rue de la Clarté-Dieu, en face de la ferme des Douets et remonte à pied la rue de Suède vers la Choiseulerie. Je fais le tour du petit centre commercial pour voir ce qui a changé, et m’arrête prendre un café à Côté Pains. Puis, après avoir remonté la rue des Douets, je vais directement m’asseoir devant le lycée Choiseul. C’est presque resté une habitude chez moi, puisque c’est l’endroit où j’ai dû passer le plus de temps étant enfant : assis devant le lycée. Il n’y a pas de baccalauréat à Choiseul cette année. Le quartier est très calme. Les volets roulants des maisons sont baissés au deux tiers pour éviter que la température ne monte trop à l’intérieur. Les portes-fenêtres sont entrouvertes pour laisser passer un léger courant d’air. J’entends au loin (au « fond », comme aux frontières du quartier), la fréquence basse et continue des extracteurs d’air de la zone d’activité. Un marteau piqueur mitraille par intermittence, mais je ne saurais dire où. Un aspirateur siffle dans une maison du bas de la rue, et, pendant quelques instants, un engin de nettoyage passe rue de la Clarté-Dieu, en coupant la rue des Douets devant le petit rond-point. Par moments, ces sons laissent place au piaillement des moineaux, au chant d’un merle dans la cour d’entrée du lycée, à la musique ouatée des tourterelles, ou aux cris crénelés d’une pie posée sur le faîtage d’un toit en tuiles marron. Je retrouve instantanément le sentiment de flottement que crée cet environnement sonore anarchique.

  • Cuisine

    Notre cuisine est très lumineuse. Elle est exposée plein sud et donne sur la rue du Prieuré de l’Encloître. Trois fenêtres en bande sont situées au-dessus de l’évier en inox à deux bacs, et du plan de travail, ce qui permet de regarder dehors en faisant la vaisselle. L’équipement est modeste, mais de qualité. Aucune fierté recherchée dans la possession d’électro-ménager tapageur chez nous. Pas de micro-ondes, ni de lave-vaisselle. Le plan de travail est rudimentaire. Il est constitué d’une grande planche mélaminée blanche, posée sur un meuble à trois portes, dans lequel est rangée la vaisselle. Je m’y cache souvent quand je joue. Les casseroles, les poêles et la cocotte-minute sont rangées sous l’évier. Le frigo, le sèche-linge et la gazinière sont à gauche de la porte en entrant. Sur le frigo sont posés dans une barquette, le sel, le poivre, quelques épices, et une petite balance de cuisine Terraillon blanche. Une table ronde et quatre chaises en bois sombre occupent le centre de la pièce. Une plante grimpante est installée dans l’angle du fond, sur un mobile accroché au plafond. La table est couverte d’une toile cirée, que ma mère change régulièrement. De nouveaux motifs intègrent donc souvent l’histoire de la cuisine. Les couverts changent aussi assez régulièrement. Des verres et des assiettes aux formes ou aux couleurs étonnantes prennent place sur la table. La tapisserie est blanche avec des rayures verticales roses. Sur la droite quand on est face aux fenêtres, une porte donne accès au cagibi, dans lequel il y a la machine à laver, un vieux bahut en bois, et la chaudière à gaz qui fait un bruit caractéristique d’allumage quand on tire de l’eau chaude. Dans les tiroirs du bahut, il y a des boîtes, des bougies, des piles, et ma mère y cache les bonbons et les chocolats qu’elle ne veut pas que je mange trop rapidement quand elle en achète. Comme le cagibi est petit et moins aéré que les autres pièces, les odeurs y sont plus concentrées. J’aime celles de la lessive et du lino au sol qui chauffe en été.

  • Background

    Background 
    Photographie prise avec un téléphone portable (tirage unique sur papier photo) 
    30 x 40 cm 
    2008 
    (Photo : Nicolas Bellet) 

     

  • Barbe-à-poux

    Julien me dit qu’il vient de croiser Barbe-à-poux en bas de la rue des Douets. Tout le monde dit ici qu’il héberge un sanglier dans sa maison. Barbe-à-poux remonte cette longue rue tous les jours à pied, flanqué de son beau chien noir, ou dans son Peugeot J7 usé, pour aller vers le bois, au nord du quartier. Il nous fait un peu peur, mais plus parce que nous imaginons des histoires le concernant qu’autre chose. Sa maison, rue de la Clarté-Dieu, est à l’image de sa camionnette : usée et mutique. La végétation du jardin de devant, débordante et sauvage, masque la vue, et ne permet d’apercevoir que des parties de la façade de sa maison. Le jardin de derrière donnant sur la rue de l’Abbaye de Gastines, ressemble à la cour d’une casse automobile. Les persiennes de plastique blanc sont constamment closes. Ce pavillon a des allures de fantôme immobile. Quand nous passons devant à vélo, nous jetons un œil discret, espérant voir ou entendre le sanglier, pour vérifier la véracité des dires des habitants. Je n’ai jusqu’à aujourd’hui jamais eu de preuve formelle à ce sujet.

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